A PROPOS DE SKATESHOPS – OFFICIAL
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Qu’est-ce qui fait que les vrais skateshops, ceux avec pignon sur rue et un type qui sait qui est Ricky Oyola derrière le comptoir, se raréfient ?
À Toulouse, l’offre en matière de skateboard a radicalement changé en 2016. Mathieu Fauveau, d'Official skateshop a été jusqu’à supprimer le rayon chaussure pour éviter la fermeture. Explications.
« LE SKATER A CHANGÉ, IL EST UN PEU MOINS PUNK »
Depuis combien de temps est ouvert le shop ?
Mathieu Fauveau : Ça va faire onze ans au printemps.
Tu trouves que le nombre de skaters a diminué à Toulouse ?
Oui, la scène est plus petite. En tous cas, il y a beaucoup moins de groupes de kids entre douze et seize ans…
Pourtant, j’ai l’impression qu’il y en a plus d’une manière générale…
Moi je n’en ai pas l’impression. Il y a surtout beaucoup de trottinettes… Où il sont peut être sur plus les parks qu’en ville, beaucoup de parks ont vu le jours ces dernières années, ici.
Il ne finissent pas par se mettre au skate, ces gamins-là ? Un peu comme à l’époque du roller où ils finissaient s’y mettre…
A l’époque, les skaters faisaient un vrai travail de fond sur les rollers, si bien qu’ils finissaient par être un peu honteux et à se mettre au skate ! Aujourd’hui il y a moins de ça, le jeune skater a changé, il est un peu moins punk, un peu plus rangé, plus gentil… Du coup ça ne met pas les autres mal-à-l’aise… Je ne dis pas que c’est bien, je dis juste que la mentalité a changé.
Ils sont plus tolérants, finalement !
Oui, ou plus mauviette ! Ah ah !
Est-ce qu’avoir un skateshop ressemble à ce que tu avais imaginé ?
C’était le cas quand j’ai ouvert. Il y a onze ans, Internet et les sites de vidéo étaient moins importants, du coup, on avait encore un rôle d’éducation avec les skaters qui venaient mater des vidéos au shop par exemple, chose qui a complètement disparue ces dernières années. Aujourd’hui les gamins ont déjà tout vu donc ils ne viennent plus pour ça. Même quand on organise une avant-première, il faut vraiment faire un gros travail de fond pour les faire venir sinon ils la téléchargent et n’en ont pas grand chose à foutre de partager un moment avec les autres, boire un coup… Donc au début c’était exactement comme je l’avais voulu, ensuite il y a eu ces changements-là et puis le shop a beaucoup grossi. On vendait beaucoup de fringues, beaucoup de shoes… J’en ai eu marre, alors j’ai tout changé il y a un an pour essayer de retrouver cet esprit-là.
Ce changement, c’était enlever le superflu et créer un lieu où les skaters se retrouvent de nouveau ?
Oui. Mais c’était aussi pour moi parce qu’à la base, je voulais fermer le shop. Je croulais sous les pré-commandes de shoes et de wear, parfois je devais trouver 20 000 euros pour le lendemain pour que les paiements ne soient pas refusés ou négocier avec la banque, j’en pouvais plus, je voulais juste que ça s’arrête. Tout ça m’avait rendu aigri et souvent je me comportais mal avec les clients et même avec mes potes… Mais les gens qui m’ont soutenu depuis le début n’avaient pas envie de voir le shop fermer, alors j’ai réfléchi aux raisons qui me poussaient à vouloir fermer et à celles qui m’avaient fait ouvrir. C’est là que je me suis dit qu’il fallait simplement revenir au skateboard. Donc ça impliquait d’arrêter les pré-commandes et de ne plus vendre de shoes.
Il n’y a plus de shoes dans le shop ?
Aucune.
Que représentait la vente des shoes dans ton chiffre d’affaire ?
Deux-tiers, avec la wear. Donc j’ai perdu les deux-tiers de mon activité. Tu sais, quand les boites te demandent de faire des pré-commandes, te poussent à augmenter les quantités, on se retrouve avec des volumes qui ne sont pas du tout représentatifs de ce qu’on est capable de vendre en réalité, sans parler des modèles qu’on t’impose sur lesquels tu dois faire de l’avance de trésorerie.
Tu ne peux pas faire les commandes que tu veux ?
À la base, on est sensé pouvoir passer les commandes que l’on veut mais on est fortement incités à acheter des produits plus que d’autres et à faire un certain volume. Moi je tenais à travailler avec des marques dites 100% skate, mais ce sont des produits qui ne se vendent plus vraiment. Donc sur toutes les commandes de ces marques que je passais, je vendais à perte. Et je ne pouvais pas vendre que des Nike ou des Adidas juste pour compenser ! Ça aurait été complètement fou de faire ça ! Donc au final, je travaillais juste pour toutes les marques et il n’y avait que moi qui ne faisais pas de marge…
Où est-ce que les gens achètent leurs skate-shoes, aujourd’hui, alors ?
Dans les magasins outlets. Ou sur Internet, je suppose.
« LA CONCURRENCE LA PLUS VIRULENTE EST SUR LE WEB »
Tu as beaucoup de concurrence, aujourd’hui, sur les boards ?
Aujourd’hui il reste Okla et nous qui vendons des boards, et quelques autres grandes enseignes comme Element ou Quiksilver. Donc il reste de la concurrence, mais il y en a moins. Depuis que Guest a fermé, Official est le dernier vrai skateshop de la ville. Mais le marché est saturé, on est pus dans les années 90, la concurrence la plus virulente est sur le web aujourd’hui.
Tu as aussi réduit le nombre de riders du team ?
Pas vraiment réduit mais modifié, avec le temps, certaines affinités ont diminué, certains ne skatent plus vraiment et d’autres gars méritaient qu’on les aide. Ça n’a donc rien n’à voir avec l’activité du magasin. J’en ai gardé la plupart parce qu’ils se sont toujours impliqués dans la boutique. Chez moi, il n’y a pas de budget, ils prennent juste ce dont ils ont besoin.
Tu vends encore des vidéos ?
Oui, j’en vends régulièrement. J’ai un rayon vidéo, je n’en vends pas des wagons mais ça arrive souvent. Quand quelqu’un cherche un cadeau par exemple, je les oriente là-dessus ou sur les bouquins.
Quelles sont les boards que tu vends le mieux ?
Les boards du shop. Mais on vend aussi Voyager, une nouvelle marque locale, ou Polar, The National, Fucking Awesome, WKND, Numbers, Sour… les marques actuelles, plus fraîches. Je me suis débarrassé des marques qui n’ont, pour moi, plus vraiment d’intérêt aujourd’hui. Et je vends pas mal de re-issues de chez Santa Cruz, Powell Peralta, etc. Des gars montent ces board pour les skater, pas seulement pour la déco, c’est plutôt cool de voir un mec de 20 piges monter une Ray Underhill alors qu’il n’était même pas né quand cette board est sortie. C’est cool aussi d’avoir au mur les boards qui me faisaient rêver quand j’avais 10 ans !
Il ne reste que des petites marques, donc…
Je crois que c’est Mike Carroll qui disait qu’une marque de skate a une durée de vie de vingt ans. Moi j’irais un peu plus loin : une marque de skate est une marque à usage unique. Du moment où le team d’origine a changé, ça n’a plus d’intérêt, ou en tout cas c’est beaucoup plus difficile de la faire perdurer, ça a de suite un côté trop commercial plus que l’image d’un groupe de pote…
Aujourd’hui, tu vois l’avenir plus sereinement que quand tu vendais encore des shoes ?
Difficile à dire, la rue où se trouve le shop est en travaux depuis plus d’un an, elle devient semi-piétonne, du coup l’activité est calme. En tout cas, je me sens bien au shop, j’ai retrouvé la motiv’ ! De là à dire que ça suffira, rien est joué. Maintenant on verra ce que l’avenir nous réserve, mais les vrais skaters savent, du coup je reste confiant et on met en place de nouveaux projets avec les gars du team et les potes. On espère que tout ce travail portera ses fruits et qu’Official pourra perdurer dans le temps. ‘Que sera sera’ !
Entretien effectué le 15 février 2017